Armand ROBIN

Armand ROBIN



Sa vie (il est né le 19 janvier 1912 à Plouguernével, Côtes-d’Armor) a débuté sous de mauvais auspices. Huitième enfant d’une famille paysanne où l’on travaillait dur, Armand Robin avait conscience de venir d’un peuple muet. Rien ne le prédestinait en effet à devenir l’un des écrivains les plus marquants de son siècle. Brillant élément qui s’est extirpé de sa condition par sa soif de connaissance, il était habité par le sentiment douloureux de s’être exilé et coupé des siens, d’avoir trahi en allant plus loin qu’à nous il n’est permis. Jean Guéhenno, lui aussi issu de modeste condition, qui fut son professeur en khâgne, confirme l’arrachement que représente un tel destin, on parle de la démocratisation de l’enseignement, ce n’est pas facile et c’est souvent un drame et ça a été un drame pour Robin. Il s’agit bien d’un arrachement au pays natal, d’un exil sans retour possible. Le hiatus entre son enfance où les saisons (lui) donnaient des leçons et le monde doré, clos et compromis des lettrés qu’il désigne sous le vocable de maison des morts, s’est irrémédiablement révélé sans issue. S’est ancrée alors en lui, à vif, cette évidence que : LE POÈTE, S’IL VIENT DU PEUPLE, EST INDÉSIRABLE ; IL RESTERA DU CÔTÉ DES RUISSEAUX, DES NUAGES, SERA SEMBLABLE AUX VENTS QUI NE VEULENT PAS ÊTRE DIRIGÉS.

Loin pourtant d’être un être asocial et un misanthrope, sa vie sera solitaire et peuplée par la parole des autres : Toutes les autres vies sont dans ma vie. Le breton est la langue maternelle d’Armand Robin, mais n’est pas une langue officielle. C’est la langue du peuple rural, essentiellement orale puisqu’elle n’était ni enseignée ni en usage dans le monde scolaire. Cette particularité a sans doute contribué à faire de Robin cet étrange étranger, dépaysé dans son propre pays. Nombre de bretonnants de naissance ont témoigné de cette souffrance à acquérir le français au détriment de leur langue de naissance. Devenu homme universel habité par une parole cosmopoétique, Armand Robin a voulu être avec les hommes partout dans le monde entier. Il a fait le choix d’océaniser sa goutte d’eau et de mêler sa propre poésie à celles des poètes du vaste monde. Ce n’est donc pas par hasard si, dans Ma vie sans moi, les traductions constituent la moitié de l’ouvrage. Hélas, cette part est ignorée lors de la réédition du recueil en 1970 par Gallimard, qui persiste encore en 2005 à le rééditer dans sa version tronquée.

Armand Robin a été un météore littéraire singulier, presque hors du temps, bien qu’irrémédiablement inscrit dans un contexte historique ne laissant aucune échappatoire, celui d’un monde totalitaire dominé par le nazisme et le stalinisme. Il découvrit très tôt, pendant l’été 1933, lors d’un voyage déterminant en URSS, les convulsions du XXe secoué par l’impitoyable captation du pouvoir par les bureaucrates de Staline. Ce cauchemar, ce monde dans lequel tout sens de la dignité humaine est mort, traqué, est à l’origine de sa réflexion sur la propagande et la fausse parole. Il sera donc irrémédiablement du côté de ceux qui auront tout fait en toute circonstance pour être le plus mal possible avec tous les régimes successifs, avec toutes les polices, avec tous les partis. Son ouvrage La Fausse Parole parut en 1953 aux Editions de Minuit. À la fausse parole, Robin opposera l’authenticité de la parole poétique qui rend à l’être humain sa liberté.

Armand Robin a été à la fois en marge et au cœur des courants littéraires. Non seulement il ne les ignorait pas mais il les côtoyait de près. Son refus d’entrer dans le moule de la littérature officielle, dans l’orthodoxie esthétique de la littérature d’alors, fait aujourd’hui la force de son œuvre qui n’appartient à aucune chapelle littéraire et à aucune mode au final en isme. Son itinéraire d’homme pluriel, sa pensée sans cesse en mouvement, sa remarquable lucidité, ses sujets de prédilections, demeurent très actuels. Ses écrits sur la fausse parole restent plus que jamais pertinents. N’oublions pas ses poèmes, âpres et rugueux, sortis tout droit de l’humus, qui convoquent les sens et l’esprit. Il y circule une sève sans pareille.

Armand Robin meurt à l’âge de 49 ans, le 30 mars 1961, à l’infirmerie spéciale du Dépôt, après avoir été arrêté pour désordre sur la voie publique. Les circonstances de sa mort ne sont pas à ce jour élucidées.

Karel HADEK (Revue Les Hommes sans Epaules).

(Notice d’après Marie-Josée Christien).

 

À lire, poésie : Ma vie sans moi (Gallimard, 1940), Poèmes indésirables (éd. Anarchistes, 1945), Le Monde d'une voix (Gallimard (1968), Fragments (Gallimard (1992), Le cycle du pays natal (La Part Commune, 2000).

Essais : La Fausse Parole (Minuit, 1953. Rééd. Le Temps qu’il fait, 2002), L’Homme sans nouvelle (Le Temps qu’il fait, 1981), Écrits oubliés I (Ubacs, 1986), Expertise de la fausse parole (Ubacs, 1990), Le Combat libertaire (éd. Jean-Paul Rocher, 2009).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57